Trois jours après (le 13 novembre)

Bien sûr, que la vie doit continuer et qu’on ne doit surtout rien changer. Mais très honnêtement, à l’heure où tout le monde est reparti travailler, prendre les transports et marcher dans Paris – pour toutes les choses ordinaires de la vie ordinaire –, que les miens, les vôtres semblent plus vulnérables que jamais, c’est dur d’imaginer l’existence tout à fait comme avant.

Je ne me rappelle plus pourquoi nous ne sommes pas sortis vendredi, malgré quelques invitations. Fatigués, sans doute. « Bidons », comme on se qualifie entre nous quand on manque de courage. On était bi-dons, donc, avachis sur notre canapé, une bouteille de vin à portée d’orteils. Aujourd’hui quand j’y repense, je me sens insupportablement chanceuse de n’avoir pas été touchée plus directement. Carrément coupable de respirer encore. Les abords d’un stade, une salle de spectacle, des terrasses de café ! Pourquoi eux plus que moi ?

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Les informations sont tombées, brutes, incomplètes mais implacables : ça tirait dans tous les coins, pile poil là où il y avait de grandes chances que nos amis et nous soyons lorsque débute le weekend. Les uns après les autres, tous les copains défilent dans ma tête. Ceux qui aiment le foot, les fans de musique qui passent leur temps dans les concerts, les fans de bière qui passent leur temps aux terrasses des cafés.

La famille, aussi. Tout le monde en fait. Toi, lui, elle, eux. Merde, où sont-ils ? Je vous rêve dans mon salon, ou vous espère au moins dans le vôtre. J’apprends qu’untel est à Londres, à Berlin, dans les îles au soleil : ouf. Peu à peu, je glane des signes de vie de tous ceux auxquels je pense.

Quand la vie « recommence » dans toute sa splendeur deux jours plus tard, j’ai de nouveau peur et encore plus mal. Quelle chance, quelle chance ! Je n’en reviens toujours pas que nous ayons été épargnés, nous et ceux que nous avons la chance de connaitre, par cette funeste boucherie.

Mais comment ne pas penser à tous les autres ? Leurs vies stoppées doivent nous donner encore plus envie d’user et d’abuser de la nôtre… Et après le temps, indispensable, pour admettre malgré tout l’inadmissible, on respirera encore mais plus tout à fait pareil. À un souffle seulement du néant et de l’horreur.